mercredi 5 février 2014

Les viscères

"Quand j'ai ressuscité tes os, je t'ai fait aller vers l'intérieur; quand j'ai étiré ta peau, vers l'extérieur; en ouvrant chacun de tes muscles je t'ai poussé vers les côtés, à la fois aube et crépuscule.  Maintenant que je t'ai vidé de ces souvenirs pris dans les fibres comme des mouches dans des toiles d'araignée, apparaîtront tes viscères, amis ignorés, toujours dams l'ombre, travaillant pour toi jour et nuit, sans que tu daignes les remercier... Sens, j'introduis les doigts dans la partie supérieure de ton abdomen, comme ça, sur le côté droit, et je le palpe, je le caresse, je le parcours pour que tu sentes sa forme généreuse; c'est ton foie, mon enfant, ton organe puissant, honnête, fidèle, qui vibre parce qu 'il sait que tu le reconnais... Écoute sa voix grave: "Je suis le portier, celui qui essaie d'empêcher le passage du venin, non seulement celui que tu ingères par la bouche, mais aussi celui qui infecte ton esprit: chaque parole mordante m'oblige à la combattre, chaque colère contenue me ronge, les attaques inattendues du monde viennent me frapper, et je fais ce que je peux pour te préserver, en sollicitant ton attention par de petites douleurs, en augmentant la sécrétion de ma bile, en emmagasinant des vitamines... je veux pour toi l'innocence, que comme de l'eau pure les paroles descendent de tes oreilles à ton âme, je veux que tu arraches la critique à la racine pour que ton sang coule comme un fleuve limpide. Donne-moi la force suffisante pour interdire le passage aux démons de la gloutonnerie, de l'envie, de la déception! Ne deviens pas mon ennemi, ne m'attaque pas avec des substances que je ne peux assimiler, non seulement tu es ce que tu manges, mais tu manges aussi ce que tu es: si tu introduis dans mon temple des matières, des pensées, des sentiments, des désirs qui te sont étrangers, ils se tranforment en toxines..."

Lorsque Magdelena imitait la voie du foie, il me semblait entendre le ronronnement d'une panthère noire. Ses manipulations répétées et caressantes me firent peu à peu sentir un viscère mou, chaud, grand et plat come une sole, dégageant des ondes de fidélité et d'énergie en tout point comparables à celles d'un chien.  Je me rendis compte que mon corps, pris dans les glaces de l'indifférence de mes parents, recevait de lui, constamment , une liqueur régénératrice, ce qui le fatiguait.  Pour la première fois de ma vie j'eus pitié de mon foie. Pour lui permettre de se reposer, je demandai à Magdelena de me libérer de la souffrance."
(Mu, le maître et les magiciennes, pages 157-158)

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