lundi 3 février 2014

Humilité

"Jusqu'à maintenant tu as cru qu'être humble revenait à diminuer tes valeurs, à les cacher derrière un masque soumis, sans te rendre compte que tu avais marché de par le monde sans le voir directement, distrait par ce que tu croyais valoir ou ne pas valoir. L'humilité, mon enfant, c'est cesser de protéger tes croyances, d'affirmer à chaque instant ton existence, de démontrer à qui cela importe peu que tu mérites d'être vivant. Va, lâche prise, tu n'as rien à justifier.  Entre dans ton corps, dépouille-le de toute finalité, ne l'envahis pas de tes doutes et de tes défenses, abandonne-toi, que te mangent les vautours, que les furies t'arrachent les intestins, que tu pourrisses, que tu deviennes cendres, lâche prise, chacun de tes muscles est un coffre fermé, je vais te les ouvrir..."

La vaseline mélangée aux plantes produisit en moi un bien-être que je n'avais jamais connu jusqu'alors. Magdelena, de ses doigts savants, pénétra peu à peu, millimètre par millimètre, dans ma chair jusqu'à identifier chaque muscle, traitant ces corps striés comme si c'étaient les foetus d'un être supérieur qui voulait naître. Enfonçant en leur centre les deux pouces joints, tandis qu'avec les autres doigts elle les prenait par en dessous, elle les étirait vers les côtés de la même façon qu'on ouvre la carapace d'une grosse crevette.  Cette sensation d'ouverture se répandit dans tout mon corps jusqu'à me faire éclater en sanglots.  Je gardais de douloureux souvenirs enfermés dans mes muscles. Dans les mollets, les coups de pied que ma mère me donnait sous la table pour me faire taire quand ma grand-mère venait dîner, toute phrase que je disais lui semblant un manque de respect envers cette vieille femme sévère. Dans le bras droit, la fureur contre mon père, le coup de poing retenu pendant des années, celui avec lequel je souhaitais mettre son visage en sang pour m'avoir tellement terrorisé en essayant de me rendre courageux... Dans le dos, entre la colonne vertébrale et les omoplates, l'insupportable vide de caresses ... Et dans les chevilles, comme des entailles de faux, la tristesse d'avoir été déraciné de mon village natal à l'âge de neuf ans. En un seul jour, en perdant mes amis et mes lieux préférés, le ciel sans nuages, le parfum de la mer et des collines arides, la caresse de l'air toujours sec, j'acquis une tension dans les jambes qui changea mes pas agiles en pas traînants dans les rues des villes étrangères...

"Tu vois? Tu étais plein de coffres fermés qui gardaient des tristesses, de la souffrance, des colères, des frustrations...
( MU, le maître et les magiciennes, page 156-157)

Dieu merci, aujourd'hui, nous avons si facilement accès à des huiles essentielles. Nul besoin d'utiliser de la vaseline...

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