Je me souviens de mes premiers pas en-dehors du
patelin où j’ai grandi et de mes premières longues marches hors de l’espace
délimité par l’autorité en place et par l’isolement géographique de mon village
natal. Je porte de très belles mémoires d’excursions dans les jardins privés du
pensionnat où j’ai pu me réfugier à l’âge de 15 ans. Ceux-ci étaient réservés
aux religieuses mais j’avais trouvé une façon d’y pénétrer. Comme j’étais
habituellement une élève bien à son affaire, j’arrivais à m’absenter du moment
réservé à l’étude sans que les religieuses s’inquiètent ou même soupçonnent ma
désobéissance. Enchantée, à la manière d’une belle au bois marchant, je
parcourais les jardins ou les bois adjacents pendant plus d’une heure, en
riant, en pleurant, en rêvant, rebelle et libre. Puis, je rentrais sereine, la tête haute, sans culpabilité
aucune, juste à temps pour le souper, chargée de tout mon soul de la vision
d’une nature magnifique.
Je me rappelle de folles aventures qui
s’allongeaient toute la nuit durant à travers les premières villes que j’ai
habitées, jeune adulte. Je revois des ponts traversés à trois heures du matin,
j’entends des propos délirants professés du haut de mes dix-huit ans, des
poèmes récités (ou entendus d’eux) à Denis, à Pierre, à André jusqu’à ces aubes
froides et pures qui me retrouvaient sur le seuil de mon appartement, gelée,
grisée, gaie ou triste mais si vivante. Le jour, de vraies montagnes grimpées
jusqu’en haut m’ont vue arriver essoufflée, ivre, pleine de rêves … des
passerelles vers le bonheur! Je me souviens d’un amour sincère et humble offert
à la nature. Et d’un retour d’amour de celle-ci…
Il m’est arrivé de délaisser la marche et les
randonnées en montagne. Mes belles petites filles à élever, à soigner et à
accompagner ont eu l’air de ralentir ma quête, voire de l’empêcher. En fait,
elles l’ont facilitée. Elles ont
rempli ma vie d’un grand bonheur, toujours renouvelé, même si parfois bien
singulier. La maternité a détourné mon attention du monde extérieur. Recallée
en moi-même, j’ai d’abord rencontré, mêlée à ce bonheur maternel, plus de
souffrance que d’élan vers la vie. Oui, des choses apparemment antagonistes
peuvent exister en même temps.
Dans mon antre intérieur, là aussi, j’ai eu une
petite fille à soigner, à consoler, à accompagner, à faire grandir. J’ai repris
la marche cependant avec un souffle définitivement nouveau au moment d’une
maladie et ce que j’ai pu voir et accomplir alors a imprégné mes pas d’un
souffle ascendant.
La marche a été un élément moteur de mon
cheminement spirituel. Elle a balisé le tracé d’évolution de mon âme. Elle m’a
surtout ramenée à la présence de mon corps et à son langage. La conscience
corporelle a fleuri au centre de ma spiritualité.
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