Magdelena continue sans complaisance, avec beaucoup d'amour...
"Tu n'as pas encore de structure. Tu es un homme sans squelette. Si tu n'as pas d'os, comment peux-tu caresser ?"
Elle m'étendit sur le petit lit et se mit à me palper. Il me sembla que ses doigts s'enfonçaient dans ma chair jusqu'à saisir mes os. Une partie essentielle que, par peur de la mort, j'avais voulu oublier. Elle pressa os par os, entrant dans les recoins les plus cachés, dessinant les formes, me faisant sentir sa force médullaire... Jamais plus je ne me déplacerais de la même façon; jusque là, mes gestes étaient superficiels, uniquement de chair, ils avaient maintenant un axe solide mais débordant de vie, leur blancheur était du temps concentré que la terre n'avalerait pas, ma différence en même temps que ma similitude: j'étais un squelette semblable à tous les autres squelettes, mais imprégné d'une âme personnelle.
"Tu sais demander, tu l'as fait depuis que tu es né: lève tes bras, étire les mains, ouvre la bouche vers le ciel en attendant la chute de la manne... Mon fils, tu as oublié que la terre t'apprend à tourner autour d'un axe, comme la galaxie, comme l'univers. Si tu n'as pas d'axe, tu es un marégage, un magma d'espoirs qui ne s'élève jamais, une plante grimpante à laquelle manque un mur pour croître... Tes os se développent en tournant autour d'eux-mêmes. L'inclinaison et la translation trouvent leur racine profonde dans la rotation..."
Magdelena, les mains transformées en tenailles, saisit l'un après l'autre, patiemment, le péroné, l'humérus, le cubitus, le fémur, la rotule, le tibia et se mit, lentement mais implacablement, à les faire tourner vers l'extérieur, comme si elle ouvrait un cercueil longtemps fermé. Tendu au début, après avoir dépassé de légères douleurs, je commençai à me semtir libéré d'une carapace qui débutait dans mes os et se prolongeait dans mon esprit.
"Tes bras, tes jambes, ta colonne vertébrale, par peur des autres, sans que tu t'en rendes compte, tendent à tourner vers l'intérieur, obéissant à une mémoire foetale. Ton squelette a des réactions de hérisson: au moindre danger, il s'enroule. Mais le temps avance sans possibilité de recul. Tu ne peux devenir une boule, séparé du monde. Ces os savent qu'un jour ils flotteront dans le cosmos. Ton squelette, attiré par le futur, a la possibilité de s'ouvrir, comme une fleur dont tu es encore le bouton fermé. Et c'est assez de marcher avec un mur noir dans ton dos. Tu portes dans la nuque le monde changé en nuit. Tourne la tête, que tes yeux éclairent l'inconnu...Encore plus... vers la gauche, comme ça, jusqu'à ce que s'efface le concept de nuque...maintenant vers la droite... Tu n'es pas obligé d'avancer en traînant une obscurité. Ton corps n'a ni devant, ni derrière, ni côtés, c'est une sphère brillante."
Et, peu à peu, Mgdelena me fit tourner la tête jsuqu'à ce qu'il n'y eût plus un seul endroit que je pusse voir. Je cessai de me sentir attaqué par un ennemi caché dans la nuit qui nichait dans mon dos. (Mu, le maître et les magiciennes, pages 151-152)
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