Les mots et les pensées, en psychothérapie
Dans un premier temps, souffrir m’a détachée de la vie
au lieu de m’y attacher avec consistance. J’ai été perdue de longues heures
durant dans des bureaux de thérapeutes à
dire mes « mal-à-être », à chercher et à trouver les mots pour
les laisser apparaître dans toute leur gravité. J’ai mis tant et tant d’efforts
à inventer une parole plus juste, plus explicite même si elle condamnait à
grands renforts d’arguments plus ou moins rationnels les causes intrinsèques de
mes problèmes et leurs créateurs désignés. Je ne dis pas qu’on ne doive pas
aller en thérapie. Je crois que ce travail très féminin qui consiste à séparer
l’ivraie du bon grain, à se pencher avec parcimonie sur le malheur et ses
tenants et aboutissants pour en extraire une expression libératrice, est
nécessaire. Oui, ce travail de défrichage est tout à fait nécessaire. Il permet
de conquérir l’espace intérieur grâce à une victorieuse succession de morts et
de renaissances nommées et renommées avec une conscience de plus en plus
élargie. Cependant, il faut reconnaître qu’il est essentiellement préparatoire
et organisateur de l’ultime travail de guérison. Vient un jour où le corps a à chercher ses propres mots et à
les trouver. Dans le silence du travail corporel (ou de l’accueil corporel!) qui
cherche à laver les scories du passé, accompagné ou en solitaire, dans ce
silence du corps qui s’éveille, l’expérience devient éloquente et révèle les
secrets les mieux gardés, ceux qui s’égaraient encore dans le geste verbal.
Le corps, sa vérité
Le corps a toujours raison. Quand il juge que le coeur
s’abîme dans trop de blessures, même si elles ne sont pas toutes très graves,
c’est le mental qui vient à la rescousse. Il n’y a pas à rejeter ce mouvement,
simplement, il ne faut pas s’y fixer. Le diagnostic que le corps lance au sein
de la vie d’une personne répond à ses propres critères, souvent insondables.
Recherchant la signification de ce qui est perçu comme une sentence, la tête
prend la relève, s’attarde au portique de sa psyché et projette une partie de
son attention, sinon toute, sur des problèmes, parfois mineurs, parfois
importants mais pas fondamentaux, toujours dramatisés. Souvent, j’ai entendu,
ou élaboré moi-même, en thérapie de longs discours répétitifs qui trouvaient
leur résolution dans des mots très simples mais infiniment plus douloureux que
la complainte reconnue et ressassée mille fois. « Dire-autre-chose-que-ce-qu’il-y-a-à-dire »
est un processus lent et fondamental qui sert à fortifier l’ego pour lui
permettre de faire face, avec courage, au tragique de l’existence le moment
venu. C’est une opération qui doit être respectée, jamais devancée, déjouée ou
rejetée. La thérapie verbale est une marche patiente et appuyée à travers des
dédales de délire extravagant et complexe qui masque, le temps qu’il le faut,
la douleur première et parfois, unique. L’agitation mentale, les distractions,
les accusations, les dramatisations et le persiflage des sous-personnalités
agissent comme autant de soupapes de sécurité. Au rythme qui lui convient,
chaque personne en thérapie entre dans une spirale de réflexions et de
souvenirs qui la reconduisent au centre d’elle-même. Mais, dans ce noyau
fondateur de la personnalité, l’expression ultime de la souffrance doit prendre
assise dans le corps pour devenir transcendante, pour accéder à la sagesse de
l’être en première instance, la sagesse ontologique.
Personnellement, je n’étais jamais parvenue à laisser
aller ma tête et ses nombreux mécanismes de défense complètement avant de vivre
des guérisons réelles accomplies par des révélations émanant de mon corps.
Appréhender ces révélations
auparavant était trop douloureux. Vint un jour où il fut possible de m' y abandonner.
Quel bonheur cette libération du corps !
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