Extrait du livre de Jean-François Beauchemin : Ceci est mon corps, paru aux Éditions Québec Amérique en 2008. L'auteur a imaginé ce qu'a été ou ce qu'aurait pu être la vie de Jésus s'il avait survécu au supplice de la croix. Il parle à sa bien-aimée qui se meurt. Ce long monologue d'un homme vieillissant est merveilleusement bien écrit, comme une rêverie jamais achevée. Le passage que je vous offre est d'une grande beauté.
"Qu'aurai-je retenu à la fin? Deux ou trois choses: la désinvolture du hasard, le peu d'enfoncement de mes pas, la beauté du monde. Ce matin commence mon malheur. Mais je n'aurai pas, jusqu'ici, vécu en vain: l'amour, cet empressement mêlé de courage, de violence et de soin qui fit que, pour de bon, l'humanité prit son nom, je l'aurai bien connu. Ce fut ma plus haute tâche, et la plus troublante aussi. Autour de toi l'air se chargeait de bruissements familiers: ceux du pas que l'on pose sur une pente herbeuse, d'un animal qui rassemble et lèche ses petits, d'un arbre dont le feuillage s'agite tout à coup, bouleversé peut-être par la transparence du jour. Rien ne fut plus beau, pas même ces premiers instants de l'aurore. Pourquoi le monde, quand tu passais, devenait-il si étonnant? Tu portais un secret au milieu de toi-même. On aurait dit un enfant qui ne veut pas naître, comme si un séjour infini dans ce ventre lui avait été préférable à la vie de tous les jours. Et peut-être en effet y a-t-il, en chaque être, de ces choses qui ne doivent pas éclore. Il n'y a pas de dieu, mais songe un peu à ce mystère: le monde a voulu ta naissance. C'est le seul enchantement que je veuille glorifier; je suis trop vieux maintenant pour que les autres grâces de la terre ne suscitent en moi davantage qu'un étonnemnt ému. Qu'est-ce que ce petit siècle d'existence qu'on nous donna? Le temps de comprendre le miracle des sources, la fabrique d'oiseaux qu'est le ciel, et tout bascule." (page177)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire