J'ai trouvé chez David Servan-Schreiber une très belle description de l'amour de la vie, de l'amour pour un autre être humain et partant, pour soi-même. Je ne pouvais pas décrire d'une plus belle façon cette énergie qui peut donner au coeur sa plénitude.
"Tant que la maladie ne nous a pas frôlé, la vie nous paraît infinie, et nous croyons qu'il sera toujours temps de nous battre pour le bonheur. Il faut d'abord que je décroche mes diplômes, que je rembourse mon crédit, que les enfants grandissent, que je prenne ma retraite... Plus tard, je penserai au bonheur. Remettant toujours au lendemain la quête de l'essentiel, nous risquons de laisser la vie filer entre nos doigts, sans l'avoir jamais vraiment goûtée.
C'est cette curieuse myopie, ces hésitations, que le cancer vient parfois bousculer. En rendant la vie à sa véritable fragilité, il lui restitue son authentique saveur. Quelques semaines après avoir reçu le diagnostic de cancer au cerveau, j'ai eu le sentiment étrange qu'on venait de me retirer les verres gris qui voilaient ma vue. Un dimanche après-midi, je regardais Anna dans la petite pièce ensoleillée de notre minuscule maison. Elle était assise par terre, à côté d'une table basse, s'essayant à la traduction de poèmes du français en anglais, l'air concentré et paisible. Pour la première fois, je la voyais comme elle était, sans me demander si je devais ou non lui préférer quelqu'un d'autre. Je voyais simplement sa mèche de cheveux qui tombait gracieusement quand elle penchait la tête sur son livre, la délicatsse de ses doigts tenant si légèrement le stylo. J'étais étonné de n'avoir jamais remarqué à quel point les imperceptibles contractions de sa mâchoire quand elle avait du mal à trouver le mot qu'elle cherchait pouvaient être émouvantes. J'avais l'impression de la voir soudain telle qu'en elle-même, dégagée de mes questions et de mes doutes. Sa présence en devenait incroyablement touchante. Le seul fait d'être admis à partager cet instant m'apparaissait comme un privilège immense.Comment avais-je pu ne pas la voir ainsi plus tôt? " (Servan-Schreiber, David. Anticancer, Paris, Éditions Robert Laffont, Pocket Évolution, 2010, page 61)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire