"Contrairement aux traditions spirituelles qui encouragent la réclusion et le retranchement au monde, le centre de l’enseignement tantrique se situe dans la vie de tous les jours. Oui, c’est vraiment une particularité du mouvement tantrique. Ce n’est pas un mouvement religieux contrairement à la plupart des voies mystiques mais une voie spirituelle complètement laïque. Donc les maîtres tantriques sont des laïques, des gens qui depuis toujours avaient des métiers: c’étaient des paysans, des potiers, des charpentiers, des électriciens, des institutrices, des prostitués, des brigands etc., donc des personnes qui avaient une activité sociale bien définie et qui ne l’abandonnaient pas forcément pour enseigner. Cela a une grande influence. Comme c’est aussi une voie qui est particulièrement non dogmatique, il n’y a pas de clergé, donc il n’y pas de politique de contrôle du clergé. Alors que reste-t’il? Il reste des individus qui s’imposent comme des maîtres, simplement parce qu’ils ont connu l’éveil et qu’ils sont dans cette tradition. Ainsi, il n’y a jamais eu cette tendance chez les tantriques à renoncer au monde et à se retirer dans les monastères. Ils ont bien compris ce phénomène d’absence à la réalité dans les quêtes spirituelles traditionnelles. Le yoga tantrique est une voie simple dans laquelle l’être humain choisit comme champ de pratique la réalité quotidienne, sans renoncer à quoique ce soit, simplement en touchant complètement le monde. Quitter quelque chose avant de l’avoir eu crée une sorte de schizophrénie, on ne sait pas où l‘on est.
Donc notre mouvement de yoga est d’entrer en contact profond avec ses émotions, sa pensée, ses ressentis corporels. Le corps a une place magnifique. Il n’est pas du tout nié. Jamais. Au contraire, nous trouvons que c’est un instrument merveilleux. C’est un instrument merveilleux pour la simple raison qu’il a une capacité naturelle à faire un avec tout ce qu’il rencontre – avec une grâce et une spontanéité incroyables. Pour lui c’est le processus normal, un peu contrarié par notre mental qui lui a la tendance naturelle à diviser, à juger, à établir des différences. Notre mental tient 90 % de la surface pendant que le corps en tient à peine 10! Il ne s’agit pas du tout d’éliminer le mental, il est tout à fait indispensable, mais simplement on essaie de rendre le rapport plus équitable pour que le corps prenne vraiment sa place. C’est comme si l‘on a un magnifique appartement et que l’on vit dans sa cuisine qui est la tête, tout le reste de l’appartement restant inoccupé! C’est ce que l’on fait: on n’ose pas habiter le corps complètement parce qu’il a une sorte de puissance ancestrale de violence, de mouvements internes fulgurants relativement incontrôlables. Alors, pour éviter d’être soumis à ces grands mouvements de fond, beaucoup de personnes ont décidé de nier le corps et d’être une sorte de pur esprit. Mais cela ne marche pas très bien sur la longueur. On peut arriver à s’illusionner assez pour penser qu’on s’est complètement détaché du corps, mais un jour arrive une vague trop forte qui nous prend. Il y a des cas célèbres de maîtres qui ont eu une vie extrêmement vertueuse pendant 40 ou 50 ans et qui, tout d’un coup, ont basculé dans l’opposé. Pour nous les tantriques, réinvestir le corps, la sensibilité du corps, c’est quelque chose de capital.
Et cela passe par les sens..." (entrevue avec Daniel Odier par Anne Devillard publié en entier sur le site danielodier.com)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire